MANIFESTO Kelvoa

MANIFESTO – Pour une philosophie et une éthique de l’accompagnement

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Préambule

Oser un manifeste cherchant à affirmer des principes d’action relatifs à une activité relationnelle, communément appelée accompagnement, suppose à minima que l’on définisse le champ couvert et le territoire d’action.

C’est d’autant plus important que la notion est à la fois polysémique et largement utilisée dans le langage courant.

Nous faisons donc référence à une approche élargie, visant des échanges et une collaboration avec toutes les personnes qui, quel qu’en soit le statut, le cadre et l’objet, soutiennent, appuient, aident des personnes à cheminer, avancer, s’engager dans quelque chose qu’elles feraient plus difficilement sans cet appui.

C’est donc bien ce processus de « cheminer avec » et de cette relation complexe dont il est question.

Pour le collectif KELVOA :

  • André CHAUVET
  • David CHAPELLE
  • Agnès HEIDET
  • Fabienne MAUGUE
  • Laura NIGRA
  • Carlos RIBEIRO
  • Philippe RISTORD

1- L’origine de la création

La création de KELVOA, association réunissant des professionnels de l’accompagnement de multiples origines, vise à compenser un manque significatif dans l’évolution des métiers.

Les multiples appartenances institutionnelles et la crise actuelle rendent assez difficiles les travaux réellement collaboratifs et vraiment centrés sur les problématiques des personnes que nous avons la charge d’aider et d’accompagner. Or, les professionnels sont organisés plutôt autour de leur structure d’appartenance ou des prestations qu’ils conduisent et très peu au regard du métier qu’ils exercent.

Par ailleurs, toutes les expériences menées dans différents projets européens montrent la richesse des collaborations et des contributions si elles peuvent être partagées, reconnues, modélisées.

C’est autour de cette idée de partage et de coopération que s’est construit cette association et aujourd’hui toutes les conditions sont réunies pour faciliter nos échanges et nos réflexions, dans une logique de respect de chacun et de valorisation d’une éthique de nos métiers. Le manifeste ici proposé s’inscrit comme le premier pas de cette chaîne à construire.

Les professionnels de l’accompagnement se trouvent confrontées à plusieurs paradoxes :

Une demande de réassurance et de garantie dans une société de plus en plus incertaine

Un environnement où le culte de la réussite individuelle peut prendre le pas sur les solidarités et accroître certaines vulnérabilités

Une injonction au citoyen sur la responsabilité de se construire lui-même et de faire les choix qui lui conviennent dans un système de prestations où il est soumis à de multiples pressions pour s’adapter au réel. Cela relève parfois plus de l’injonction paradoxale ou de la soumission librement consentie que de l’émancipation éclairée.

Une recherche de résultats à court terme alors que les processus d’évolution sont complexes, chaotiques, multiformes.
Le risque est bien de renforcer le sentiment d’impuissance de chacun et d’assombrir un peu plus les perspectives.

Pourtant, en période de crise multiple, l’accompagnement ne peut se contenter d’une attitude simplement soutenante ou compassionnelle. Il peut également faciliter la mobilisation du pouvoir d’agir de chacun, quelles que soient les contraintes.

Cela nous amène à oser une parole, car vivre, c’est ne pas se résigner.

Cette parole et ces affirmations ne sont ni fermées ni dogmatiques.

Nous souhaitons mettre en débat nos choix, faciliter la controverse afin que nos positions s’enrichissent, évoluent, vivent. Mais il nous semble aussi que le moment est opportun pour réagir aux consensus mous et aux litanies bien pensantes sur l’accompagnement pour poser des exigences de professionnalisme voire de règles de l’art.

Car l’accompagnement n’existe que parce qu’il y a une possible vulnérabilité ou difficulté momentanée à faire seul pour chacun d’entre nous.

Et que l’accompagnement n’a de sens que par ce qu’il permet à cette autre personne. Autre personne que nous pouvons être nous-mêmes à un moment ou un autre de notre vie.

2- Philosophie et principes d’action

2-1 Une philosophie

Accompagner c’est mettre en œuvre ce à quoi on croit, qui nous guide dans notre action. C’est faire vivre une conception de la personne :

La présomption de ressources et la personne capable

Nous faisons ainsi référence à l’homme capable et vulnérable, cher à Paul Ricœur. Cela suppose une centration sur ce qu’il peut mobiliser (qui peut être invisible à ses propres yeux) plus qu’à ses déficits ou manques éventuels qu’il s’agirait de compenser.

Une personne reliée aux autres, sociale, solidaire susceptible de donner son appui et de bénéficier de soutiens. Ce qui la protège de la solitude et lui permet de contribuer à sa mesure pour faire « société ».

Une approche globale de la personne, située et intégrée dans un environnement, non réductible à son âge, son statut, son sexe, ses difficultés ponctuelles mais personne entière pouvant exercer sa liberté, s’émanciper de ses contraintes et bénéficier de ses droits.

2-2 Une conception de l’accompagnement

Les finalités de l’accompagnement

Si accompagner c’est apporter un appui permettant à une personne de faire quelque chose qu’elle ferait plus difficilement sans cet accompagnement, la nature de cet appui est essentielle à définir. Il ne s’agit pas de faire à sa place, de se positionner en expert, de se substituer à elle en raison d’une vulnérabilité passagère.

Il ne s’agit pas non plus de la renvoyer à son libre arbitre car elle peut être démunie dans sa décision au regard d’une difficulté de compréhension des ressources que l’on met à sa disposition. Ou pour toute raison propre à cette personne dans cette situation.

Il s’agit bien de permettre à la personne :

D’exercer la liberté de vivre une vie qui a de la valeur à ses propres yeux

De connaître les droits qui sont les siens mais de les rendre effectifs dans sa propre situation

D’exercer un pouvoir d’agir à sa mesure et dans sa situation

De préserver les équilibres auxquels elle tient (écologie personnelle)

De faire des essais, de s’ouvrir à des possibles, de prendre des risques acceptables et de juger elle-même des bénéfices obtenus ou déséquilibres créés

De découvrir plusieurs points de vue et de de changer de points de vue si nécessaire pour elle.

Des principes

Intervenir en tant que professionnel de l’accompagnement dans ce cadre, c’est accepter :

Que ce processus ne soit pas linéaire

Que ce qui va advenir ne soit pas prédéterminé

Que les hypothèses soient construites dans la collaboration, chemin faisant

Que la personne demeure experte de sa situation, partie prenante et libre de ses options et décisionnaire

Mais que l’appui que lui est proposé rende cette responsabilité accessible et mobilisatrice et non terrifiante ou culpabilisante

Cela suppose d’intégrer l’itérativité et la surprise du « cheminer ensemble », de coopérer dans le processus.

3- Une pratique de l’accompagnement

Pour éclairer les pratiques réelles, on peut décliner cette philosophie, cette approche et ces différents principes autour de trois thèmes : un processus, une posture et un professionnalisme

3-1 Un processus

Le terme s’entend comme un « cheminer ensemble » en intégrant les détours et les surprises et par opposition à une procédure qu’il suffirait de reproduire pour garantir le résultat. Le processus d’accompagnement suppose :

Un modèle holistique, global, systémique

Une logique d’équilibre à trouver et de dynamique à impulser plus que de résultats à atteindre à court terme. Cela ne signifie pas que le souci de l’efficacité et de l’efficience ne guident pas l’action. Mais le destinataire du service est bien la personne dans sa singularité.

Une valorisation du pouvoir de l’action (le premier pas, le Kaizen), de la contribution et de l’initiative

Une approche ouverte permettant à la personne d’élargir ses perspectives

Une valorisation de ses ressources plus qu’une identification de ce qu’il faut compenser

Une mise à disposition des ressources les plus pertinentes dans la situation de la personne accompagnée

Un recours au soutien social et à l’exercice de la solidarité

3-2 Une posture

L’accompagnateur garantit la qualité et la pertinence du processus méthodologique proposé, négocié, délibéré
Il ne cherche pas à exercer son pouvoir d’expertise pour amener la personne à adopter son point de vue

Il a conscience d’avoir des ressources ou d’autres points de vue à mettre à la disposition de la personne

Les expertises sont constamment négociées

Il vise collaboration, co construction et délibération

Il propose des régulations continues dans l’avancée du processus

Il structure, soutient, outille, incite, éclaire

Il s’implique en tant que personne dans cet accompagnement tout en clarifiant ce qui est de l’ordre de son métier et des limites propres au dispositif dans lequel il intervient

Dans tous les cas, la personne est experte de sa situation.

3-3 Un professionnalisme

L’accompagnateur a conscience que toutes les affirmations précédentes doivent pouvoir être discutées, délibérées. Il ne s’agit pas de s’arcbouter sur un quelconque dogmatisme mais de poser des principes d’action susceptibles d’évolution et d’enrichissement en fonction des évolutions de la société, de la pensée, des usages.

Par ailleurs, être professionnel de l’accompagnement suppose d’être :

En veille sur l’évolution de la société et des règles de l’art

En capacité à s’ouvrir à de nouvelles modalités

En démarche d’évaluation permanente

En échange régulier avec ses pairs

En vigilance sur ses propres interprétations et ses propres limites.

Lutter contre le dogmatisme, c’est aussi clarifier ce qui relève du registre technique, par nature évolutif de ce qui relève de l’éthique (conception de la personne) par définition stable.

Accompagner, c’est donc permettre à chaque personne de trouver les ressources, en elle, dans l’environnement lui permettant de faire des choix éclairés et de conduire ses projets et sa vie autour des idées et valeurs auxquelles elle tient.

C’est donc une école de l’humilité, de la citoyenneté et de la solidarité.